Chasseurs, écologistes et touristes des grands espaces éprouvent une même fascination pour le monde sauvage. Mais que viennent-ils chercher dans une nature si convoitée ?



A partir de récits de chasse et d'enquêtes, Sergio Dalla Bernardina analyse le comportement du chasseur prétendant rompre avec la civilisation, en quête de sensations « fortes », « authentiques », « primitives ». Acquitté d'office de par son attachement à la nature, l'adepte de Diane rejoue toujours le même scénario. Seul, ou avec quelques compagnons choisis, passionné, tout-puissant, il surprend l'animal et jouit en pleine lumière de l'acte sanglant, tout en se protégeant par des rites et des discours conventionnels d'un encombrant sentiment de culpabilité.



Contre toute attente, cependant, l'écologiste et le touriste, malgré leur désir affiché d'innocence, réagissent comme le chasseur et sont animés par les mêmes fantasmes. Le sentiment d'appartenir à une élite, une communauté d'émotions face à la sauvagerie, une intense curiosité pour l'intimité, la cruauté et la souffrance animales — les revues de nature ou les brochures de safaris n'étalent-elles pas avec complaisance photos d'accouplements ou scènes macabres de dévoration ? — les réunissent au-delà des oppositions apparentes. Le plus souvent ennemis déclarés du chasseur, écologiste et touriste dissimulent, en fait, mieux leur plaisir et leur « consommation » inavouée de la nature.



Chasseurs, écologistes et touristes partagent ainsi un même imaginaire — sous prétexte de régulation du gibier, d'observations scientifiques ou de goût du voyage — réinventent, construisent et transforment la nature sauvage en lieu de régression, véritable utopie à l'usage de l'homme contemporain.